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Accorder aux employeurs le pouvoir de décréter les conditions de travail revient à faire négocier le syndicat avec un fusil sur la tempe, souligne l’auteur de ce texte.
Le Soleil, Pascal Ratthé

Publié le 26 mai 2016 à 18h09 | Mis à jour le 26 mai 2016 à 18h09

Dans le cadre du débat sur les nouveaux pouvoirs auxquels les municipalités auraient éventuellement accès dans les négociations avec leurs employés, le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, a affirmé que refuser aux villes le droit de décréter les conditions de travail reviendrait à un «déni de démocratie».

La formule peut sembler séduisante, mais elle est pourtant totalement contradictoire. Accorder aux employeurs, quels qu’ils soient, la possibilité de clore des négociations en imposant leurs conditions n’est pas un «rééquilibrage» du rapport de force, c’est une annulation totale de celui-ci, en faveur de la partie patronale.

Une grève, elle, relève de l’exercice du rapport de force, dans la mesure où même si elle déclenchée, elle ne garantit pas pour autant un résultat favorable pour le syndicat. Sans cela, toutes les négociations finiraient en grève, or elles ont rarement été aussi rares qu’aujourd’hui.

Accorder aux employeurs le pouvoir de décréter les conditions de travail revient à faire négocier le syndicat avec un fusil sur la tempe. Il pourra bien porter toutes les revendications qu’il veut et mobiliser ses membres pour les faire prévaloir, il sait qu’ultimement il pourra se faire imposer un règlement par la partie même avec laquelle il négocie.

Or, affaiblir voire anéantir la capacité de négociation des syndicats, c’est bel et bien porter un dur coup à la démocratie. Les syndicats sont en effet, qu’on le veuille ou non, les principaux outils de démocratisation d’un des rares espaces échappant à ces règles dans nos sociétés: les milieux de travail. Qu’est-ce qu’une convention collective sinon un effort d’instaurer des règles claires et objectives dans un contexte normalement caractérisé par l’arbitraire?

Et que dire, bien entendu, des acquis obtenus par les syndicats pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses sur le plan politique? Les régimes d’assurance publique, les congés parentaux, les législations sur la santé et sécurité du travail sont autant de protections dont bénéficient l’ensemble des Québécois qui n’auraient pas vu le jour sans l’action du mouvement syndical.

Ce n’est pas juste la démocratie industrielle que les syndicats permettent, c’est également la démocratie sociale. Or, on ne peut séparer ces acquis de la capacité des syndicats à négocier de bonnes conventions collectives dans les milieux de travail. Ce sont les deux faces d’une même médaille. Attaquer l’une, c’est attaquer l’autre également. Il serait naïf de penser que le mouvement syndical aurait pu faire des gains politiques sans être capable de défendre ses membres face à leurs propres employeurs.

Le véritable enjeu derrière la demande des maires n’en est pas un de relations du travail, mais de financement. Le maire de Gatineau le soulève d’ailleurs régulièrement, et à raison. Le financement des municipalités est encore trop dépendant des bonnes grâces de Québec et la fiscalité locale est totalement archaïque. Plaçons donc le débat là plutôt que de faire des employés municipaux les boucs émissaires des malheurs de nos villes.

La signature récente d’une convention collective entre Gatineau et ses cols bleus montre bien que ces négociations sont possibles sans le pouvoir de décréter. Ne sacrifions pas un outil démocratique sur l’autel de l’austérité budgétaire.

L’auteur, Thomas Collombat, est professeur agrégé au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais.