Le projet de loi 110 jugé inutile
22 septembre 2016
Claude Lafleur, Le Devoir
17 septembre 2016
Le 10 juin, le ministre des Affaires municipales, Martin Coiteux, déposait le projet de loi 110 concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal. Il s’agit, dit-on, de « rétablir un juste équilibre » entre les maires et les syndicats.
« Nous ne trouvons rien d’intéressant dans ce projet de loi, déclare Daniel Boyer, président de la FTQ. Et nous l’avons dit en commission parlementaire : c’est un projet de loi totalement inutile. »« Comme nous l’avons dit au ministre Coiteux, il s’agit d’un remède à un problème qui n’existe pas, renchérit Denis Bolduc, président du Syndicat canadien de la fonction publique, section Québec (SCFP-Québec). Nous avons en effet relevé que 96,4 % de toutes les conventions collectives négociées ces dix dernières années ont été signées sans aucune perte de journée de travail due à des grèves. »
De son côté, le président de la FTQ fait valoir que, des 118 conventions collectives négociées par le syndicat des pompiers ces six dernières années, il n’y en a eu que cinq qui ont dû passer par la procédure d’arbitrage. « Toutes les autres ont été réglées de gré à gré, indique M. Boyer. On ne comprend donc pas pourquoi on nous dit qu’il y a un problème… »
Et le président du SCFP-Québec de relater que, d’après des documents d’orientation stratégique du ministère des Affaires municipales, celui-ci viserait avec son projet de loi à obtenir un taux de 95 % de règlements des conventions collectives sans conflit de travail. « Or, voilà que nous sommes déjà au-delà de la cible du ministère ! » lance-t-il triomphalement.
« Laissez-nous négocier ! »
Les 32 500 syndiqués que représente Denis Bolduc au sein du SCFP-Québec sont présents dans pratiquement toutes les municipalités du Québec, ainsi qu’auprès des principales sociétés de transport. Ce syndicat est en outre affilié à la FTQ, qui compte également le Syndicat des pompiers et pompières du Québec.
La FTQ étant donc le syndicat le plus représenté dans le monde municipal, Daniel Boyer constate que ses membres risquent fort d’être les plus affectés par une éventuelle loi 110.
Ainsi, ce projet de loi propose une période de seulement 120 jours de négociation avant que n’intervienne un tiers. « Si les parties n’arrivent pas à une entente, prévoit-on, il deviendrait obligatoire de s’inscrire à une étape de médiation. » Et une fois ce processus engagé, les parties pourraient assez rapidement se retrouver avec un arbitre puis un médiateur spécial.
Enfin — et surtout peut-être —, « devant une situation exceptionnelle », l’une des parties pourrait faire appel à l’Assemblée nationale pour que celle-ci décrète les conditions de travail.
Voilà qui horrifie les représentants syndicaux. « Le projet de loi nous dit qu’après quatre mois seulement de négociation, déjà, un médiateur s’amène dans le portrait, s’insurge M. Boyer. Mais quatre mois en négociation, c’est mauditement peu ! »
« Nous, nous disons qu’il appartient aux parties de prendre le temps dont elles ont besoin pour trouver un règlement, ajoute-t-il. C’est pourquoi on dit : laissez-nous négocier ! »
Déjà, fait-il encore valoir, l’une ou l’autre des parties peut demander l’aide d’un conciliateur par l’entremise des dispositions du Code du travail.
Déni du droit de grève ?
« Et le problème, poursuit Denis Bolduc, c’est que, s’il n’y a pas de règlement après un certain temps, la loi fera peser la menace d’une intervention de l’Assemblée nationale ou du ministre pour déterminer les conditions de travail. Pour nous, c’est carrément là le non-respect du processus de négociation collective ! »
En fait, tant M. Boyer que Bolduc s’inquiètent de la notion de « circonstances exceptionnelles » auxquelles pourrait faire appel la partie patronale.
« Nous ne savons pas ce que peut être une “circonstance exceptionnelle”, explique le président du SCFP-Québec. Est-ce que la moindre grève pourrait constituer une “circonstance exceptionnelle” pour légitimer une intervention ? » se demande-t-il.
En fait, le chef syndical craint qu’une municipalité puisse éventuellement chercher à obtenir d’importantes concessions de la part des syndiqués tout en maintenant une ligne de négociation très dure. « Et avec le temps, cette ville pourrait se sentir en droit de demander au ministre des Affaires municipales la nomination d’un mandataire spécial, dit-il. Et voilà qui changerait le processus de négociation en mettant toute la pression sur le syndicat. »
Erreur sur le ministère?
« Ce qui est bizarre, dans tout cela, enchaîne Daniel Boyer, c’est que là, on cherche à tripoter le Code du travail, non pas par la ministre du Travail, mais par celui des Affaires municipales. »
Or, estime-t-il, tout ministre des Affaires municipales a un parti pris. « Ce ministre prend pour les municipalités, dénonce-t-il, alors que la ministre du Travail, elle, travaille dans le but de trouver des consensus entre les parties patronales et syndicales. »
Le président de la FTQ rappelle en plus que, dans le cas des pompiers et des policiers, il y a eu un exercice patronal–syndical avec le ministère de la Sécurité publique et celui du Travail. « Là, ç’a été l’occasion d’établir des consensus sur la façon de régler certaines problématiques reliées à la négociation, raconte-t-il. Or, bizarrement, le projet de loi 110 fait fi de tout cela. Il n’en tient absolument pas compte ! »
Voilà pourquoi, comme le relate Denis Bolduc, les syndicats ont proposé au gouvernement de retirer ce projet de loi pour plutôt former un comité consultatif paritaire, employeurs-employés, afin de discuter des problèmes et de trouver des solutions. « Ça prendra un peu plus de temps, mais ça donnera quelque chose », énonce-t-il.